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vendredi 12 avril 2013

L'arbre aux multiples

texte de 2002.

Il existe un arbre particulier. De son tronc partent plusieurs branches qui toutes revendiquent appartenir au tronc.

Les branches se mettent à rêver : elles rêvent d’être le tronc.

 
Comme ceci n’est pas possible, elles voudraient être l’unique branche. Elles voudraient que leur devenir soit ce qu’elles auraient été, si elles avaient été un tronc et non une branche.

Sur les branches poussent des fruits après chaque floraison. Les fruits mûrissent. Mais les fruits de cet arbre ne tombent pas : ils restent fermement accrochés. Et les fruits, quant à eux, ne revendiquent pas appartenir au tronc : ils revendiquent appartenir à l’unique branche qu’il faudrait garder du tronc.

Les saisons passent, le tronc vieillit. Il se creuse de l’intérieur. Les branches, elles, grossissent et se fortifient, fragilisant ainsi ce qui les relie directement aux racines nourricières tout aussi indispensables que les apports extérieurs du soleil, de l’air de l’eau et de la terre.

Les nouvelles floraisons laissent apparaître des fruits très différents d’une branche à l’autre, si bien que si l’on essaie de mélanger leurs graines, nous n’obtenons plus qu’un ersatz de germes stériles.

Qu’adviendra-t-il de l’arbre ?

L’Aïkido est comme cet arbre : il a donné naissance aux multiples. De l’un est né le multiple, du multiple est née la diversité, de la diversité est née l’incompréhension, de l’incompréhension est née la discorde…

N’y a-t-il donc aucune richesse dans le devenir de l’Un ?
L’arbre est trop jeune, les ambitions trop grandes, les hommes ne sont pas mûrs. Le Dō, est un chemin, mais quelle importance d’être devant, derrière ou même à contresens ?
Le Dō est individuel, personnel, chacun l’aborde comme il le veut ou comme il le peut. Le Dō nous élève vers nos rêves d’hommes accomplis, d’hommes grands, d’hommes généreux. Notre ego nous freine sans cesse, il est la clef du problème car c’est lui qui divise.

Car, en vérité, l’Unité n’est pas Un. L’unité, c’est justement l’union des multiples. Les fruits en mutation nous apporteront peut-être un jour la clé du problème : de l’un naît le multiple, du multiple naît la diversité, de la diversité naît l’incompréhension, de l’incompréhension naît la curiosité, de la curiosité naît l’observation, de l’observation naît la compréhension, de la compréhension naît l’acceptation, de l’acceptation des différences naît la richesse de la diversité.

S’ouvrir à l’autre est une étape essentielle pour accomplir l’Unité. Unité qui ne serait pas Une, mais l’union acceptée par tous. Elle ne tendrait pas à nous rendre tous identiques, mais nous rendrait chacun unique, unique et enrichi de nos différences.

Lorsque les fruits tomberont, de nouveaux arbres pousseront, et tous riront de la guerre des branches, car l’avenir du tronc n’était pas l’arbre mais la forêt toute entière.

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