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samedi 14 septembre 2013

Les Voies de la perdition.


Avant-propos : Certains me connaissent pour mon engagement dans le Budo, mon ouverture d'esprit ou pour l'intégrité constante dont je fais preuve, d'autres encore pour mon franc parler. Le sujet que j'aborde aujourd'hui est délicat et les mots qui suivent risquent de heurter plus d'un pratiquant, mais ils se veulent sincères et ouverts à la discussion. C'est avec ce même esprit que je souhaite qu'ils soient reçus.

La progression sur la Voie du Budo peut être comparée à un chemin de vie sur lequel s'engage le pratiquant. À chaque croisée de chemins, un choix s'impose pour la direction à prendre.

Ce choix est parfois sans réelle conséquence parce que les sentiers se réunissent plus loin. Parfois il est d'une importance capitale car le chemin de vie n'est pas un sentier sur lequel on peut faire marche arrière sans en payer un tribut, celui du temps dépensé dont on sait qu'il est si précieux.

Les sentiers qui s'entrecroisent et se séparent forment un labyrinthe dans lequel il est facile de se perdre, parfois même sans s'en rendre compte. C'est pourquoi il est important de bien choisir son guide.

Le Budo exige un engagement permanent et constant. Il exige beaucoup de temps et beaucoup d'énergie. Il est facilement compréhensible qu'il ne faut laisser aucune part au gaspillage ou à l' " à peu près ", d'autant que la plupart des pratiquants ne pourront s'y adonner que 120 à 180 heures par an (2 à 3 cours par semaine sur 40 semaines).
Plusieurs pièges sont donc à éviter pour que la Voie choisie ne soit pas une voie de perdition.


Évaluer son niveau d'engagement et pratiquer à 100 %.

Je pratique avec rigueur et constance depuis près d'un quart de siècle. Cependant je ne me considère pas comme un pratiquant exceptionnel : je ne suis qu'un pratiquant parmi d'autres sur la Voie. Ce qui fait exception est le fait que je peux consacrer tout mon temps au Budo. Ce fut un choix de vie pris il y a bientôt 20 ans, un choix difficile pour lequel j'ai dû faire de très nombreux sacrifices mais qui me laisse toutes mes journées pour préparer, organiser, me documenter, écrire, pratiquer quelques kata de Iaïdo ou de Jo, faire des Suburi au Ken ou encore pour pratiquer quelques mouvements d'Aïki-Taïso avant d'aller pratiquer avec mes élèves.

Enseigner professionnellement me permet, avec plus de 15 heures de cours hebdomadaires, de totaliser autour de 800 heures et parfois jusqu'à 1000 heures de tatamis et plancher par an et, ce, depuis plus de quinze ans. J'ai donc eu beaucoup de temps pour approfondir mes connaissances, en parfaire certaines ou encore m'ouvrir à d'autres pratiques. J'enseigne avec l'esprit bienveillant et avenant d'un Sempaï qui se veut un relais entre les enseignements que j'ai reçus et celui que je dispense à mes élèves.

J'ai été à plusieurs reprises confronté à des « confrères » qui me portent un regard envieux ou qui s'étonnent de ma progression. Certains me médisent même (attention ! j'ai des oreilles dans de nombreux dojos ;-) ou me jalousent, y compris pour le nombre d'élèves inscrits dans mes trois clubs qui totalisent plus de 12% des licenciés de la Ligue Languedoc Roussillon FFAAA.

Beaucoup de ces enseignants ne totalisent pourtant qu’à peine 250 heures annuelles, soit approximativement 6 heures hebdomadaires sur 40 semaines.
Un simple calcul permet de mieux comprendre la situation : je pratique 3 à 4 fois plus. En 18 ans, j'ai cumulé aux environs de 15 000 heures. Il faut 60 ans à une personne qui pratique 250 heures par an pour atteindre ce chiffe. Autrement dit, j'ai pratiqué en vingt ans l'équivalent de 60 ans de leur pratique ! Une vie.
Que ceux qui m'envient fassent donc leurs calculs ! J’ai pris une sérieuse avance et j'ai bien encore 20 ou 30 ans devant moi...

Mais il ne s'agit pas uniquement de quantité. Au contraire, il s'agit aussi, et surtout, de qualité.

C'est pourquoi il est impératif pour tout pratiquant d'évaluer la capacité d'engagement dont il dispose pour le Budo. Quelle que soit cette capacité, 2 heures ou 10 heures hebdomadaires, il faut alors l'utiliser à bon escient.
L'élève doit s'investir dans la pratique à 100 % pendant le temps consacré à la Voie.

S'il ne peut pratiquer que 2 heures par semaine, il faut qu'il s'y investisse à 100 %. S'il peut pratiquer 5 heures, il ne doit pas considérer qu'il peut diminuer son niveau d'engagement : il doit pratiquer à 100 %.

Si pour une raison de santé ou de gêne particulière, il ne peut pratiquer qu'à 80 %, il doit donner 100% des 80% dont il dispose. L'erreur serait de se satisfaire d'un effort moyen et de s'engager dans la Voie de la paresse. Même lorsque le corps est fatigué, il doit encore travailler à 100 %.
Combien de fois ne voit-on pas un ancien, qui avait jusque là ignoré un débutant, s'empresser de travailler avec lui lorsqu'il se sent fatigué ? Il n'y a pas de place pour le repos dans la pratique. Le repos ne doit avoir lieu qu'au moment du repos.

Pratiquer à 100% signifie aussi de placer son esprit dans la pratique et ne pas le laisser aller à la flânerie ou le laisser submerger par les vicissitudes de la vie courante.

Si vous pratiquez avec un partenaire plus gradé, pratiquez à 100% de vos capacités et donnez le meilleur de vous-même.

Si vous pratiquez avec un partenaire moins gradé ou débutant, pratiquez à 100% de son niveau en réduisant la vitesse d'exécution et en évitant les techniques dont il ne connait pas le Ukemi associé (Koshi Nage par exemple qui demande une bonne maîtrise de la brise-chute). Réduisez votre vitesse mais ne réduisez pas la qualité, c'est à dire pratiquez à 100% de votre niveau mais plus lentement pour vous accorder à votre partenaire.
Beaucoup de gradés ne savent pas travailler lentement, ils confondent lenteur et douceur. C'est un manque indéniable de maîtrise technique.
Je ne comprends pas qu'un ancien prenne un air dépité parce qu'il travaille avec un novice. C'est justement l'occasion de travailler fermement avec lenteur plutôt que doucement avec mollesse. Travailler lentement exige une précision accrue et permet de voir les défauts techniques qu'il faudra travailler avec rigueur afin de les appliquer dans une technique avec un pratiquant confirmé.

En toute circonstance, travaillez rigoureusement à 100 %.


Ne jamais se satisfaire d'un niveau, même d'excellence.

Continuer à pratiquer signifie continuer à progresser.

Ceci est difficile à admettre parfois pour qui ne prend pas de recul suffisant sur son propre Ego. Ce qui est encore plus difficile lorsque l'esprit se sclérose, souvent avec l'âge, ou lorsqu'il devient moins perméable parce qu'il pense déjà savoir ce qui doit être su.

Lorsqu'un pratiquant dit j'ai compris, il se pétrifie dans ce qu'il pense avoir compris. Il en est de même pour un enseignant qui n'accepte pas une critique (positive) d'un confrère ou la remarque d'un élève. Dans les écoles japonaises de Budo, on répond " Osu " (prononcé Oss, voir http://www.kctc.fr/pages/le-karate/oss.html) qui sous entend que la consigne est reçue et que le pratiquant va se mobiliser pour exécuter ou corriger un mouvement, ce qui engendre un comportement plus cohérent vis-à-vis de la Voie.

Si vous croyez avoir compris ou détenir la connaissance parfaite au niveau technique aujourd'hui, alors vous penserez la détenir demain, après-demain et ainsi de suite. Aussi dans un an, vous vous imaginerez toujours en possession de cette même connaissance. Vous n'aurez pas évolué et on pourra vous faire observer que vous n'avez plus progressé.

Si vous souhaitez progresser, vous devez absolument admettre que vous pouvez faire mieux et que, donc, votre niveau n'est pas parfait aujourd'hui. Vous devez rester ouvert à la critique (positive) et aux enseignements que vous recevez.

Et si demain vous n'êtes pas meilleur qu'aujourd'hui, cela signifie que vous ne progressez plus. Et dans le Budo, ne plus progresser signifier régresser.

Le travail dans le Budo est comme remonter une rivière à la nage. Si vous ne nagez pas assez bien, le courant vous fait reculer. Si vous nagez juste ce qu'il faut, vous faites du sur-place. Malgré l'effort que vous y mettez, vous n'arrivez pas à avancer et indéniablement vos forces vont s'épuiser et le courant vous emportera. Si vous nagez suffisamment bien, vous avancez. Mais lorsque vous cessez de nager, vous reculez indubitablement.

C'est pourquoi tous les sages insistent sur ces faits : il faut toujours avancer sur la Voie, demain se doit d'être toujours meilleur qu'aujourd'hui et il ne faut jamais se satisfaire d'un niveau, même d'excellence.


Travailler encore et toujours les fondamentaux.

Le temps est précieux dans le Budo. Afin de ne pas se perdre dans les illusions techniques, il faut se concentrer sur les fondamentaux et les travailler inlassablement.

Ceci est fastidieux et on peut parfois être séduit par un technicien qui propose une pratique peu exigeante dans le travail des fondamentaux et qui semble facilement accessible. Sa technique donne un sentiment de fraîcheur et de liberté. Alors on s'y engage sans savoir conscience du travail que ce technicien a consacré aux fondamentaux avant de parvenir à ce niveau de pratique.

Lorsque l'on suit les enseignements d'un jeune maître, il faut prendre conscience qu'il ne peut enseigner que ce qu'il connait. Et compte tenu du temps exigé par le Budo, celui-ci ne parviendra qu'à une certaine connaissance que plus tard, lorsqu'il ne sera plus jeune.
Si ce jeune maître s'amuse à enseigner des choses qu'il ne maîtrise pas, il risque fort de transmettre beaucoup d'erreurs techniques à ses élèves. Mais s'il transmet les fondamentaux de manière rigoureuse, son enseignement sera de qualité et s'adressera aux débutants comme aux gradés.

Lorsque le maître est dans la force de l'âge, on ne doit pas oublier que s'il utilise encore ses capacités physiques, il maîtrise la technique, ce qui lui permet de mettre en application les fondamentaux. Si ce maître n'enseigne que les applications, seuls les gradés possédant les bases seront réellement capables de reproduire fidèlement la technique, les débutants ne reproduisant eux qu'un ersatz de mouvement technique sans profondeur. Il est donc important que le maître enseigne avec rigueur les fondamentaux afin que ses élèves puissent suivre ses pas sur la Voie.

Lorsque l'on suit les enseignements d'un vieux maître, il faut prendre conscience que celui-ci a développé de nombreuses capacités qui permettent de compenser, et parfois de transcender le déclin physique qui s'est amorcé à la force de l'âge. Aussi, il ne faut pas se satisfaire de reproduire sa technique, d'autant que le pratiquant n'a pas forcément les qualités techniques exigées pour pouvoir la comprendre. Aussi si le maître n'enseigne plus les fondamentaux, l'élève doit chercher un autre maître et ne revenir auprès de l'ancien que lorsqu'il aura parfait sa technique. C'est pourquoi les débutants ne doivent pas singer les anciens.

Les enseignants se doivent d'être au service de leurs élèves sur le plan de la transmission technique. Ils doivent impérativement faire travailler les fondamentaux, encore et encore.

Ne considérez pas les fondamentaux comme la base ou la matière du débutant. Les fondamentaux sont les fondations de votre technique, elles doivent être solides pour accueillir l'édifice de votre progression.

Le Bambou ne peut s'élever haut que parce qu'il possède de belles et profondes racines !


Se remettre en question, prendre du recul.

Il m'arrive fréquemment lorsque je me rends en stage de pratiquer avec des élèves de … ou de …. Fiers de leur professeur, ils veulent imposer la vision encore déformée de l'enseignement qu'ils ont reçu. Comme ma technique ne les fait pas bouger comme ils s'attendent à être bougés par leur Senseï, ils ne bougent pas, ne se rendant même pas compte de la vulnérabilité dans laquelle ils se placent, aveugles aux erreurs techniques qu'ils commettent.
Il faut alors que je saisisse un Hakama à l'entre-jambe pour qu'untel sorte de sa léthargie technique et se replace, ou encore qu'un autre s'étonne d'être touché par un Atemi alors qu'il développe une attaque suicidaire, tête en avant, sans aucune notion de Ma-Aï.

Sans cohérence, la pratique n'est plus que le reflet erroné d'une pâle imitation d'un art martial. Il faut alors développer la Vision et ouvrir l'esprit afin de prendre un recul suffisant pour l'autoévaluation et l'autocritique.


Des contenus peu pertinents.

Il ne suffit pas de prendre en considération ce qui est dit plus haut pour optimiser sa progression. Encore faut-il avoir accès à des contenus pertinents, ce qui incombe aux enseignants.

De trop nombreux enseignants ne sont pas assez gradés pour prendre la responsabilité d'un cours et du devenir de leurs élèves. D'autres se satisfont d'un niveau technique, souvent faible, et ne progressent plus depuis plus d'une décennie, et parfois plus encore. D'autres encore, piégés par leur Ego, sont convaincus de détenir la vérité, s'isolent ou refusent les conseils de leurs aînés.

Au Japon, les instructeurs ne le sont qu'à partir du 5° Dan, je suis assez d'accord avec cela et de nombreux experts le sont aussi. Les enseignements seraient de très haute qualité. Ces grades s'obtiennent par examen et de ce fait sont plus facilement accessibles qu'en France pour l'Aïkido où ils sont délivrés sur dossier et pour lesquels il faut plaire à la fédération ou se plier aux exigences de ses dirigeants.
Mais comme il faut beaucoup de temps pour former des techniciens de ce niveau, il est plus aisé pour une fédération désireuse de percevoir des licences, manne financière, de délivrer des titres d'enseignant à partir du 2° Dan.

C'est pourquoi dans toute École qui se respecte, le jeune enseignant est un assistant sous la responsabilité technique et pédagogique d'un expert. Il devient ensuite enseignant suppléant. Après avoir obtenu un haut niveau technique, il passe l'examen d'instructeur. Par la suite il se verra considéré comme professeur puis, pour celui qui progresse encore, comme maître.

C'est loin d'être le cas dans les fédérations en France. Aussi faudrait-il que les jeunes enseignants se considèrent comme des relais entre l'enseignement qu'ils ont reçu et celui qu'ils doivent dispenser le plus fidèlement. Il faudrait alors que le jeune (pas forcément en âge) enseignant soit mis sous tutelle, mais ce n'est pas le cas. Les enseignements sont alors transmis par des enseignants qui sont loin d'avoir un niveau d'enseignant.
Du coup, beaucoup d'enseignements sont incomplets et d'autres contiennent de graves erreurs techniques. Ceci est aisément observable dans le travail des armes ou très peu sont réellement formés, mais c'est aussi grandement le cas dans le cadre de la pratique à mains nues.

Sans enseignants formés, les contenus ne sont pas pertinents et la transmission des savoirs est perdue.

Ne perdez pas votre temps de pratique à suivre les enseignements d'un professeur égotique en voie de sclérose. Allez plus haut voir son maître ou ses maîtres et évaluez la pertinence de son enseignement comme de sa pratique. L'élève n'appartient pas au professeur. En tant qu'élève vous êtes libre de faire votre choix, veillez à ne pas vous égarer sur une voie de perdition.

Marc Senzier.
Septembre 2013.


Lien : Reflet critique de l'Aïkido fédéral

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